En Espagne, le « calvaire » des lévriers
Ces images de chiens attachés à un véhicule, forcés à le suivre sur une vingtaine de kilomètres pour les entraîner à courir, seuls trois députés espagnols ont pu les voir. Mercredi 12 mars, pas un de plus n'est venu à la présentation organisée spécialement pour les 350 membres du Congrès. C'est peu, très peu même, surtout quand l'on sait le surprenant succès rencontré à travers le pays avant ce rendez-vous avec ses représentants : 70 demandes de projection en deux mois, organisées spontanément par des salles de cinéma de Barcelone, Madrid, Séville, ou Valence, et des dizaines d'interviews pour Irene Blanquez, à l'initiative du projet.
D'ordinaire monteuse de films publicitaires, celle qui avec Febrero, el miedo de los galgos (« Février, la hantise des galgos ») signe son premier documentaire est pourtant ravie d'avoir pu accéder aux décideurs politiques, accompagnée de militants associatifs et de propositions pour enfin briser « le calvaire des lévriers espagnols », les galgos.L'Espagne est l'un des seuls pays européens à autoriser, encore aujourd'hui, la chasse sans fusil. En 2004, l'Angleterre a finalement décidé de bannir la chasse à courre de son territoire, pourtant vieille de quatre siècles. En France, si la vénerie attire encore quelques milliers d'amateurs, une proposition de loi a été déposée en mai dernier pour la faire arrêter, et l'utilisation de lévriers est interdite depuis 1844.
L'Espagne se singularise par les modalités de sa pratique : dans les larges plaines caillouteuses de la moitié sud du pays, au cœur des communautés autonomes de Madrid, de Castille-La Manche ou d'Andalousie, la chasse au lièvre prend la forme d'une course entre chiens, lâchés dès qu'une proie apparaît à l'horizon. Selon Irene Blanquez, 190 000 chasseurs s'adonneraient encore aujourd'hui à un exercice populaire toujours très ancré dans les zones rurales, où ceux qui élèvent et entraînent des chiens se souviennent l'avoir fait « toute leur vie ».
DES MILLIERS DE CHIENS CONCERNÉS CHAQUE ANNÉE
Plus que la chasse elle-même, ce sont surtout ses conséquences sur les chiens qui alertent les défenseurs des animaux. Elevés en nombre par leurs propriétaires « galgueros », surentraînés, ils seraient tués, trop souvent torturés, et au mieux abandonnés dès lors que leur charge prendrait le pas sur leur utilité. L'échéance est rapide : un lévrier voit ses performances fondre dès ses trois ou quatre ans. Elle peut être plus courte encore, car la tradition se mêle aussi de l'« honneur » du chasseur et refuse une victoire à un chien « sale », qui aurait rusé, empruntant virages et raccourcis pour faciliter sa tâche, ce qui ne tarde pas à arriver lorsque celui-ci gagne en expérience. Pour laver cet « affront », les propriétaires sont accusés de déployer, sur les chiens coupables, de barbares techniques de mise à mort. Sur les images filmées par ceux qui s'en émeuvent, des animaux démembrés, lacérés, squelettiques.
« Miroir grossissant de comportements déviants », accusent les galgueros. « Je suis pourtant tombée dessus avec évidence durant mes tournages, et mes interlocuteurs ne voyaient pas en quoi cela pouvait être problématique », se souvient Irene Blanquez. Chaque année, des milliers de chiens seraient ainsi concernés. Pas moins de 50 000, avancent certaines associations. « Le phénomène est difficile à quantifier », avoue la réalisatrice, « mais on sait par exemple que cette année, pour le seul mois de février, durant lequel se termine la saison de chasse, plus de 3 000 chiens ont été sauvés », beaucoup dans un triste état de santé.
Oscar Hernandez Zarzuelo, président de la fédération de galgos de Castille-La Manche, récuse avec fermeté ces chiffres « mensongers » et avance une autre théorie : « La grande majorité des chiens qui semblent abandonnés en Espagne sont le résultat de vols », au détriment des galgueros, et destinés à alimenter un marché noir. M. Zarzuelo, qui dit représenter les pratiquants d'un « sport qui réunit le plus de personnes après le football » dans sa région, et une activité « ancestrale » aujourd'hui très réglementée, contre-attaque en mettant en cause l'intégrité des défenseurs des animaux : « Derrière les associations de protection des animaux, il y a un important commerce d'adoption de galgos en Europe. » Brigitte Auloy, chargée de mission à l'international au sein de la Fondation Brigitte-Bardot, qui intervient aujourd'hui dans une soixantaine de pays, conteste cette version des faits : « En fait, la majorité des galgos abandonnés finissent en fourrière et sont euthanasiés. Ils ne font le négoce de personne. »
MINCE SOUTIEN POLITIQUE
Selon Mme Auloy, certaines campagnes espagnoles se caractériseraient par la prégnance d'une culture peu soucieuse du bien-être animal, dont seraient victimes les lévriers. « A l'instar de la corrida, entre autres traditions locales, l'animal est encore trop souvent considéré comme un divertissement, ou dans le cas des galgos, comme un outil de travail dont on se débarrasse facilement. Il faudrait faire évoluer les mentalités », explique-t-elle. Irene Blanquez a les mêmes mots : une campagne nationale de sensibilisation serait nécessaire. Or, aujourd'hui, si de nombreux bénévoles se mobilisent, « face à l'ampleur de la situation et avec le temps et l'argent dont ils disposent, ils ne peuvent que répondre à l'urgence, c'est-à-dire soigner les animaux blessés et tenter de les faire adopter ».
Les soutiens politiques sont minces, dans un pays où même le roi s'affiche aisément en tenue de chasse, arme à la main et gibier aux pieds, et où « la moitié des députés » partageraient cette passion, si l'on en croit Mme Blanquez. Et si le code pénal espagnol prévoit bien jusqu'à un an d'emprisonnement en cas de maltraitance d'un animal domestique, dans une question à la Commission européenne posée en 2011, des députés européens s'inquiétaient de constater que cela n'était « pas du tout mis en application en Espagne, en tout cas pas lorsqu'il s'agit des galgos ». « Le bien-être des chiens n'est pas du ressort de l'UE, ce problème reste sous la seule compétence des Etats membres », bottait alors en touche la Commission.
Michèle Striffler, députée européenne (UDI), confirme cette inertie des structures politiques espagnoles et européennes : « Les chasseurs en Espagne sont très puissants et leur lobby a un poids qu'on n'imagine pas forcément. » En avril 2013, la député tente d'interpeller de nouveau la Commission au sujet des « tortures infligées aux lévriers » en rédigeant une déclaration dénonçant le non-respect par l'Espagne des textes européens relatifs à la protection animale. Las, malgré une mobilisation de militants derrière elle pour presser ses collègues de la soutenir, celle-ci ne convaincra que 221 signataires sur les 766 possibles, une majorité étant nécessaire pour transmettre l'initiative. « C'est affligeant. Les députés n'ont pas osé », se désole Mme Striffler, qui a décidé de se rendre directement en Espagne en avril prochain pour essayer de faire entendre sa cause auprès des autorités locales.
PREMIÈRE CONDAMNATION EN 2013
En attendant plus vaste soutien, la défense des chiens de chasse espagnols est donc principalement le fait du monde associatif. Espagnol, mais aussi, de façon surprenante, issu des pays voisins. Chaque année, la Fondation Brigitte-Bardot déclare dépenser plusieurs milliers d'euros en frais vétérinaires pour soigner les animaux blessés, des sommes « encore bien insuffisantes ». Surtout, plusieurs associations françaises, belges, ou allemandes, aident à l'adoption des rescapés. « Les Espagnols ouvrent des yeux comme des soucoupes quand ils voient les galgos sur nos canapés. Pour eux, c'est une aberration de les avoir comme chiens de compagnie. Et il est donc très difficile de les faire adopter sur place », explique Nelly Moullec, présidente de l'association Galgos France, qui chaque année parvient à faire recueillir environ 250 chiens par des familles françaises.
Malgré la difficulté de la situation, les militants croient pourtant voir poindre quelques signes d'encouragement. A la fin de 2013, pour la première fois, un chasseur a été condamné à sept mois de prison pour avoir pendu l'un de ses chiens. Plus encore, en Espagne, c'est le travail de prise de conscience qui semble enfin démarrer. En février, le très célèbre présentateur de télévision Jorge Javier Vazquez s'est joint au mouvement de protestation, dénonçant au milieu de son émission de divertissement le sort des galgos. « Il semble que dans les cercles people avoir un lévrier devienne à la mode, note Irene Blanquez avec espoir. Les médias commencent à s'intéresser un peu au sujet, et, en voyant le succès de mon documentaire, je crois que la société est s
http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/03/28/en-espagne-le-calvaire-des-levriers_4389935_3244.htmlurtout prête à changer cette situation. »
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